Qui ne s’est jamais inscrit sur une application de rencontres ? De moins en moins de monde…
Attention : cet article n’a aucunement pour vocation d’émettre un quelconque jugement de valeur, ni à propos des sites de rencontres, ni de leurs utilisateurs, ni même de leurs non-utilisateurs. Les sites et applications de rencontres sont désormais une réalité indéniable, un phénomène de société expérimenté par une partie grandissante de la population mondiale. Un bouleversement profond des mœurs et des codes amoureux, affectifs et sexuels, est-il en train de se produire ?
Dans l’Hexagone, selon une enquête IFOP réalisée en janvier 2018, sur un échantillon de plus de 2000 personnes, représentatif de la population française de 18 à 69 ans :
33% des hommes et 21% des femmes avouent avoir déjà utilisé un site ou une application de rencontres ;
Sur la tranche d’âge de 25 à 34 ans, 59% s’y sont déjà inscrits ;
29% des inscrits reconnaissent une addiction à ces sites et applications de rencontres ;
Parmi les inscrits, 72% des hommes et 41% des femmes ont déjà eu une relation sexuelle sans lendemain avec une personne rencontrée sur l’un de ces sites et applications ;
Enfin, 33% des inscrits reconnaissent continuer d’utiliser le site ou l’application alors qu’ils sont en couple.
Quelques années auront donc suffi pour que l’inscription sur un site de rencontres, d’abord considérée comme un tabou, une pratique inavouable, peu recommandable, devienne socialement acceptable, jusqu’à s’imposer tout simplement comme la norme. En partant de cette minorité d’inscrits dans les années 2000, ces surfeurs anonymes dénigrés comme des « quasi-libertins », les applications de rencontres sont en train de conquérir la majorité de la population. Quel chemin parcouru depuis les agences matrimoniales des siècles précédents !
Pour le constater, posez donc la fameuse question à des couples autour de vous, dans votre famille, parmi vos amis et vos collègues : « comment vous êtes-vous rencontrés ? » « Sur un site de rencontres » vous sera répondu de plus en plus fréquemment, avec un grand sourire, y compris par des couples formés depuis plusieurs années, mariés et avec enfants. Rien de tel pour actionner un puissant levier en vous, en regardant votre propre situation amoureuse et/ou votre libido, en finissant par vous poser cette autre fameuse question : « et si je m’inscrivais ? »
Tout le monde ne cherche pas la même chose sur un site de rencontres « généraliste », ce qui crée souvent ces malentendus, cette frustration, ces déceptions qui en font la mauvaise réputation. Entre la sacro-sainte quête du grand Amour et la multiplication assumée des relations sexuelles sans lendemain, difficile de s’entendre. De plus, entre ces deux extrêmes, il existe un large éventail de nuances dans la manière dont chacun ou chacune définit ce qu’il ou elle recherche, ce qui n’aide pas toujours à éclaircir les choses…
Après une rupture ou une période de solitude affective, pour se prouver que l’on peut plaire encore ou pour gonfler son ego, en bon célibataire ou dans le dos de son conjoint ou sa conjointe, chaque utilisateur atterrit sur un site de rencontres avec son histoire, ses raisons, ses secrets : mais qu’est-ce que l’on y recherche au juste ? D’une personne à l’autre, les attentes sur un site de rencontres peuvent être très variables : « relation sérieuse uniquement », « juste de bons moments », « couple exclusif », « relation légère », « projet de vie à deux », « statut indéterminé », « amitié câline », « plan cul régulier », « vraie rencontre », « polyamour », « compagnie pour sortir ou voyager », « amour sans prise de tête », « jeux coquins », « belle rencontre », « relation pansement », « sexe sans sentiment », « grand Amour », « plan à trois », « feeling », « on verra », etc.
Encore faut-il savoir ce que l’on cherche sur un site de rencontres… ou pas ! De nombreuses personnes affichent clairement le fait de ne rien en attendre, pour éviter toute déception et ne s’exposer qu’à de bonnes surprises, en prenant chaque rencontre comme elle vient. Demander ce que l’autre recherche peut même être considéré comme un mauvais point, une faute de communication, surtout dès les premiers échanges sur messagerie, ou lors d’un premier rendez-vous. En définitive, pour beaucoup d’inscrits, tout le monde se cherche, mais quasiment personne ne se trouve. Comment les développeurs d’applications tentent-ils de remédier à ce problème ?
Dans la grande et impitoyable jungle du web, la survie et le succès d’un e-commerce passent par le « business de niche », en identifiant une clientèle cible bien définie, un segment de besoins ou de désirs très spécifique. Ainsi, après la grande vague des sites de rencontres « généralistes », la tendance est à la spécialisation. Aujourd’hui, les applications et sites de rencontres spécialisés prospèrent et prolifèrent, jusqu’à se positionner sur des thématiques parfois très étonnantes, non sans efficacité :
Depuis quelques années, il y en avait déjà pour tous les goûts. Maintenant, il y en a surtout pour les goûts bien précis, voire très particuliers. En cela, la spécialisation tente de respecter l’un des grands standards du web, profondément ancré dans les comportements des internautes et mobinautes : la souveraine exigence de trouver exactement et immédiatement ce que l’on recherche. Or, s’il est bien un domaine dans lequel on trouve tout et n’importe quoi, mais très rarement ce que l’on cherche, c’est justement celui des rencontres par internet. Face à cette problématique, les sites généralistes comme les applications spécialisées s’attaquent à la grande équation des compatibilités…
« Sommes-nous compatibles ? » Évidemment, telle est la question à laquelle les sites et applications de rencontres tentent de vous aider à répondre. Pour cela, à partir de multiples critères et données collectées sur chaque utilisateur, tout comme les réseaux sociaux mettent en avant certains contenus en fonction de vos centres d’intérêt, les sites de rencontres vous suggèrent les profils de personnes susceptibles de vous plaire. En coulisses, des algorithmes de compatibilité sont développés pour favoriser le « match » (terme employé lorsque deux personnes valident le fait qu’elles se plaisent sur une application de rencontres).
Face au « hasard des rencontres » de l’ancien monde, la prédictibilité des calculs gagne du terrain. Pour autant, la roue de la fortune n’est pas tout à fait truquée, car l’incertitude quant à l’issue de chaque rencontre demeure. L’imprévisibilité de l’être humain est justement ce qui fait tout le charme de l’expérience. Par ailleurs, l’objectif premier d’un site ou d’une application de rencontres n’est pas de vous faire rencontrer la personne grâce à qui vous n’aurez plus besoin d’y être inscrit. Il s’agit plutôt de vous faire tomber amoureux du site ou de l’application même, de vous fidéliser, pour continuer à y faire de nouvelles rencontres, encore et encore (si possible, en version payante).
Les rencontres sont alors tellement favorisées et facilitées que le pouvoir de rencontrer de chaque utilisateur ou utilisatrice en est décuplé, de manière virtuelle, du moins. Derrière son écran, il est aujourd’hui possible de « pré-rencontrer » beaucoup plus de personnes qu’il ne l’a jamais été dans la vie « réelle ». Par conséquent, exactement sous la même forme que la multiplication des discussions avec ses proches, ses amis, ses collègues sur une même application de messagerie, chacun ou chacune peut se laisser aller à papillonner, flirter avec plusieurs personnes simultanément et continuer ainsi, à l’infini. En matière d’amour et/ou de sexe, l’évolution des mœurs contemporaines qu’internet a engendrée se joue ici.
Certes, multiplier les relations amoureuses et/ou sexuelles, l’une après l’autre ou simultanément, n’a rien de nouveau. En revanche, les sites de rencontres sont en train d’amplifier le phénomène de façon inédite. C’est pourquoi beaucoup d’utilisateurs en arrivent à se demander « pourquoi se caser », s’enfermer dans une relation exclusive, alors qu’ils peuvent continuer à rencontrer et s’amuser encore ? Tel est le mirage de notre époque que laisse entrevoir cette nouvelle mécanique relationnelle, où il n’a jamais été aussi facile de « multiplier les conquêtes », sans contrainte, ni engagement. Ainsi, le consumérisme relationnel s’affirme et se confirme de jour en jour dans le grand catalogue des personnes à rencontrer.
De ce fait, sur un site de rencontres, pas de promesse : rien n’est acquis. « Matcher » n’est pas gagner ! Une rencontre virtuelle n’aboutit pas forcément à une rencontre physique : loin de là ! De plus, peu de rencontres donnent suite à un premier rendez-vous, si tant est qu’il soit question d’y donner suite. Ainsi, à tout moment, la personne avec qui vous étiez en train de discuter ou que vous venez de rencontrer peut vous « ghoster », c’est-à-dire disparaître, comme par enchantement, sans répondre, ni laisser de trace. Après tout, puisqu’on ne se connaît pas, pourquoi prendre la peine de s’expliquer, ou même de se dire au revoir ? Face à cette surabondance des rencontres, se développe une extrême volatilité dans les comportements relationnels.
Au moindre désaccord, ou même sans aucune raison, votre interlocuteur ou interlocutrice se volatilise, bien souvent définitivement. Si cela peut vous sembler brutal au départ, vous vous surprendrez peut-être à en faire de même, avec le temps, car du temps, les utilisateurs et utilisatrices de sites de rencontres n’en ont surtout pas à perdre : « next ! » Forcément, dans le grand catalogue des profils et des rencontres, le zapping règne. À moins de vous trouver sur un site spécialisé dans la recherche d’une relation sérieuse et durable, ne vous aventurez pas à parler d’engagement ! Les aventuriers de la rencontre veulent apparaître et disparaître comme bon leur semble, à l’infini, en toute liberté. Jusque dans le sexe et les sentiments, la culture du forfait illimité et sans engagement se démocratise.
Deux raisons bien connues contribuent à expliquer cette grande volatilité constatée sur les sites et applications de rencontres : la peur de l’engagement et la tentation de trouver « mieux ». Vous faites connaissance avec une personne qui vous plaît et cela semble réciproque, mais à quelques profils près, qui vous dit que vous n’étiez pas sur le point de trouver « mieux » ? Célèbre ennemi du « bien », la tentation du « mieux » peut être un véritable poison dans la vie affective et particulièrement avec les sites de rencontres. Pire, avec le développement de l’e-réputation et la généralisation du système d’évaluation à 5 étoiles sur internet, une note sera peut-être attribuée à chaque utilisateur et utilisatrice d’une application de rencontres, accompagnée de commentaires positifs ou négatifs. Et dans l’illusion de « trouver mieux », il est si facile de se perdre…
Comme un fil d’actualités sur les réseaux sociaux, faire défiler des profils à l’infini devient le passe-temps favori de plus en plus de monde. Chaque « match », chaque rencontre est alors une petite dose d’adrénaline, à laquelle on devient si facilement accro ! Pour une part grandissante des inscrits, un phénomène d’addiction à un ou plusieurs sites de rencontres est à présent avéré et avoué.
Rien de plus facile, en effet, que de s’inscrire sur un site de rencontres. En revanche, pas si évident de s’en désinscrire. Face à ces nouvelles addictions que la grande toile a engendrées, le spectre de la déconnexion est sans doute le plus effrayant de tous, dans le monde hyper-connecté d’aujourd’hui. D’ailleurs, pourquoi se désinscrire ? Serait-ce une libération, ou une régression ? Ces nouvelles mœurs, ces nouveaux codes, ne préfigureraient-ils pas de nouvelles formes de relations amoureuses, qui soient adaptées à cette nouvelle réalité ?
Si l’engagement dans la traditionnelle relation de couple exclusive est de plus en plus évité d’une part, et que l’addiction aux sites de rencontres se renforce de l’autre, quel « contrat social amoureux » nous réserve le monde de demain ? Toutes les spéculations sont permises. Certains diront que l’amour à deux, avec ou sans mariage, avec ou sans enfants, traversera la tempête. D’autres agiteront l’épouvantail de la mort du couple, sonneront la grande victoire du célibat ou prédiront le libertinage généralisé.
Curieusement, c’est alors que refait surface, depuis quelques années, la notion de « Polyamour » ! Vivement critiqué, considéré comme un délire hippie absolument inenvisageable par la majorité écrasante de l’opinion publique, le polyamour, non sans une pointe d’humour, est arboré sur de plus en plus de profils d’utilisateurs et utilisatrices. Les sites et applications de rencontres sont-ils le cheval de Troie par lequel tombera l’ordre occidental établi du couple exclusif ? Pour l’instant, il serait fou de le croire. Quoi qu’il en soit, les sites de rencontres sont réellement en train de bouleverser les mœurs et les codes en matière de relations, amoureuses, affectives et/ou sexuelles.
Félicitation !